Faking It : l’inattendue pépite Queer de MTV
J’étais encore à Berlin, vers la fin du programme Serial Eyes, lorsque j’ai regardé, la main sur les yeux mais les doigts entrouverts, le Pilote de Faking It, partagé devant la curiosité de voir l’étendue du désastre et la colère devant une prémisse digne des pires élucubrations homophobes. J’ai même failli ne pas aller au bout des vingt minutes de ce premier épisode.
Elle revient de loin, la pépite inattendue de cette année 2014.
Faking It est née d’une volonté un peu trop voyante de MTV de capitaliser sur le succès surprise d’Awkward, formidable dramédie lycéenne barrée mais attachante créée par Lauren Iungerich (et en totale perdition depuis le départ de celle-ci à l’issue du formidable dernier épisode de la saison 3). Faking It, tout comme HappyLand lancée encore plus récemment, reprend les éléments les plus évidents de la recette Awkward : histoires de cœur et teen angst dans un univers lycéen bubble gum.
Mais là où Awkward navigue entre le décalage de son univers et de ses personnages et un véritable réalisme humain et émotionnel, le postulat de départ de Faking It tient du délire absolu et potentiellement offensant. Il est le suivant :
Un lycée d’Austin, au Texas, est une bulle libertaire au milieu d’un Etat ultraconservateur. Dans cet endroit, pour être populaire, il faut être différent. Karma, lassée d’être invisible aux yeux de tous et notamment du beau Liam, pousse sa meilleure amie Amy à saisir l’opportunité née d’un quiproquo. Elles simulent d’être un couple lesbien pour faire un faux coming-out et ainsi devenir populaires. Un plan qui marche au-delà des prédictions de Karma et dans lequel elle retrouve coincée... sans savoir qu’Amy a de vrais sentiments pour elle !
L’ancrage humain et émotionnel est assez absent de l’épisode Pilote de Faking It, autant par la faute de ce postulat que par son traitement. Il n’existe clairement aucun lycée, même en admettant que puisse exister un tel fantasme de culture politique, dans lequel deux aussi jolies filles que Karma et Amy ne seraient pas populaires. (Le degré de beauté sidérant du moindre personnage secondaire reste d’ailleurs un défaut de la série : on est loin du profil de vraie lycéenne de la Jenna Hamilton d’Awkward).
Mais contre toute attente, les personnages et l’univers se révèleront attachants rapidement – la première saison diffusée entre avril et juin ne comptant que huit épisodes de 21 minutes.
Peut-être faut-il voir dans ce basculement la transition entre les deux cocréatrices originales du «concept», Dana Min Goodman & Julia Wolov, et le travail du showrunner Carter Covington.
Celui-ci va rapidement traiter le postulat de Faking It pour ce qu’il est : de la science-fiction. Il lui permet de parler du monde actuel non pas au premier degré mais sous la forme de l’allégorie.
Covington échafaude ainsi une bulle queer, où les questions de genre et de sexualité démultiplient les possibilités de marivaudages amoureux (selon le modèle un garçon, deux filles, beaucoup de possibilités) mais créé aussi de nouveaux obstacles et tabous (l’intersexualité d’un des personnages). Un monde dans laquelle la sexualité est importante, mais où elle n’est pas grave et où il n’y a pas de mal à expérimenter entre ados consentants (mais la série n’évite jamais de poser la question du consentement chez l’ado), et où la demi-sœur blonde et «conservatrice» craque pour un Noir sans que cela ne soit même évoqué.
Bref : une bulle fraîche et réjouissante qui pose à nouveau le paradoxe de la société américaine, au sein de laquelle cohabitent un puritanisme qu’on croyait oublié chez nous (mais qui revient en force aujourd’hui dans la remorque des néo-réacs) et une liberté et intelligence sur les questions sexuelles que nous n’avons absolument jamais atteint ici.
Faking It s’interroge sur le mouvement des limites qui surviendrait dans un monde post-gay, un monde dans lequel les combats se déplacent mais ne cessent pas. Raison de plus de s’engager dès aujourd’hui. On verra combien de temps cela peut durer, la fin de la première partie de la deuxième saison, récemment diffusée, s’aventurant sur des terrains assez hors-sujet (le secret what the fuck du beau garçon évasif...). En attendant, on prend ce qu’il y a à prendre et on se réjouit que la télévision américaine continue de proposer à sa jeunesse des personnages identifiants transgressifs et fiers, à des années lumières des ectoplasmes inoffensifs en vogue par chez nous.
Le gouffre né à l’époque où, aux personnages marquants de My So-Called Life / Angela 15 Ans, on répondait en France par ceux des ‘‘sitcoms’’ AB ne s’est pas réduit d’un iota, il aurait même tendance à se creuser...