Ni un oiseau, ni un avion, encore plus incroyable : une héroïne (Supergirl)
Solidement implantés au cinéma depuis maintenant une quinzaine d’années avec la sortie en 2000 et 2002 des premiers X-Men et Spider-Man, chevaux de Troie d’une invasion complète du line-up des studios Hollywoodiens, les super-héros prennent désormais la télé d’assaut. Depuis quelques saisons les héros à pouvoirs et identités secrètes s’y multiplient.
Au milieu de tous ces projets aux qualités diverses (contrairement au cinéma, ce sont plutôt les marques DC qui mènent la danse à la télévision, parce que libérées de la contrainte de l’univers unique qui condamne les séries Marvel à l’anecdotique) déboulera à la rentrée prochaine une série singulière, au milieu de programmes qui restent sous la coupe des origines du genre, destiné aux garçons adolescents. Une « tradition » machiste qui fait que même dans un film de Whedon, un réalisateur très conscient des problèmes liés au sexisme, des hommes virils sauvent le monde pendant que la femme élève les enfants à la ferme et que Black Widow cambre son postérieur.
Supergirl, développé pour CBS par Greg Berlanti, Ali Adler et Andrew Kreisberg, c’est l’histoire d’une jeune fille à qui on avait confié une mission : être, sur Terre, une mère de substitution pour son cousin Kal-El. Quand le destin a fait que cette mission n’avait finalement pas lieu d’être, la société Terrienne a poussé Kara à croire qu’elle n’avait plus de mission du tout. Kara a presque oublié comment voler.
Cette soumission au patriarcat est relativement complexe et insidieuse, à l’image des relations entre Kara et sa sœur adoptive, dans lesquelles s’emmêlent l’envie sincère de protéger Kara des conséquences d’un « coming-out de superhéroïne » et la jalousie d’une femme envers une autre, tellement forte qu’elle semble inégalable. Mais c'est bien la société Humaine contemporaine qui pousse les femmes à s'auto-disqualifier : et Kal-El, et la mère de Kara avaient anticipé qu’un jour ou l’autre, l’envie de faire usage de ses capacités pour aider son prochain deviendrait irrésistible. Le machisme ambiant du monde occidental contemporain n’a fait que retarder l’inévitable.
Là où la série Supergirl est fraîche et maligne, c’est en affirmant très fort, dans son ton, sa forme et son intrigue, qu’on peut être super-héroïne et super girly, au moins autant que les équivalents masculins sont centrés sur leurs incessants concours de quéquette. Les producteurs pourront se congratuler d’un vrai coup de casting : Melissa Benoist, juste et enthousiaste, séduisante et engagée, est absolument parfaite – à fortiori dans la première partie du Pilote, qui lui donne plus de grain à moudre que la deuxième, où une forme d’action plus classique, mais nécessaire, prend le dessus.
Ce genre de pas de côté n’est pas inédit à la télévision. Déjà, Loïs et Clark se servait du mythe Superman pour mettre en scène un marivaudage amoureux sensible et réussi (pour ses premières saisons) dans lequel Loïs portait la culotte. N’empêche que cette fois, c’est Kara l’héroïne invincible qui sauve la veuve et l’orphelin, au lieu de simplement aider l’homme à le faire, et ça change tout.
La question de la place du féminisme au XXIe siècle, ce Pilote de Supergirl l’aborde déjà sous plusieurs angles, en entrecroisant le parcours de l'héroïne avec ceux de trois autres personnages féminins. (Notons que deux personnages masculins servent de faire-valoir à l’ensemble, dans une surprenante inversion de la composition des castings de 80% des séries.)
Sa demi-sœur, donc, fut une over-achiever dans ses études mais doit néanmoins son emploi à une forme de discrimination positive – mais ce sont ses mérites propres qui lui valent de rester en poste.
Cat Grant est une ambitieuse qui veut être numéro 1, en se montrant tout aussi égoïstement capitaliste et cruelle qu’un homme. Comme elle porte une jupe et pas un costume Hugo Boss sur mesure, elle a toujours été qualifiée de superficielle et a fait de ce stigmate un étendard.
Enfin, révélation de fin d’épisode, il y a la super-méchante que Kara va devoir affronter, une autre femme de pouvoir.
Assumée comme une série conçue pour donner à des jeunes filles un modèle fort et positif auquel s’identifier pour qu’elles ne s’imposent plus de limites arbitraires, Supergirl détonne cependant dans la grille de CBS, Network auquel ses procéduraux policiers produits à la chaîne donnent une image âgée et masculine. Malgré son ambition de proposer plus de femmes en personnages centraux – c’est, après tout, la chaîne de The Good Wife – on peut craindre que CBS ne soit pas nécessairement le diffuseur parfait pour cette série réussie mais surtout nécessaire. On espère se tromper.