Avatar, spectacle radical
Mieux vaut tard que jamais, j'ai finalement su me faufiler entre les griffes des multiplexes bondés et des séances affichant complet pour voir le fameux Avatar dans des conditions décentes. Du coup, maintenant, je peux donner mon Na'vi. (Et faire les mêmes blagues nazes avec trois semaines de retard)...
C'est un cliché de la critique du cinéma SF de dire qu'il fait appel à l'âme d'enfant du spectateur, alors pour contourner le cliché, je parlerai de nécessaire capacité d’émerveillement Sans elle, on pourra s'ennuyer devant l'exploration de Pandora et du coup passer a coté du film. Puisque, la faute aussi à quelques lacunes, c'est essentiellement cet émerveillement qui peut lier le spectateur à ce film, en cela notamment que le même sentiment ressenti par le héros justifie son basculement lorsqu'il prend fait et cause pour Pandora.
Pour le coup, le spectacle est total. De sa 3-D, Cameron ne s'en sert guère pour des frissons faciles a coup de jaillissements, mais plutôt pour démultiplier le sentiment d'immersion dans un monde entièrement fictif mais pourtant sidérant de réalisme. La flore et encore plus la faune de Pandora sont sublimes, et le film se regarde parfois comme une sorte de docu animalier du 3eme type. Les personnages "de synthèse" font preuve d'un réalisme dans leurs expressions effectivement jamais vu, qui rend le visage du pourtant déjà très réussi Gollum du Seigneur des Anneaux bien mécanique en comparaison.
Pour commencer a évoquer les points qui fâchent, dommage que ce réalisme physique soit mis au service de personnages eux-mêmes terriblement mécaniques. A part l’héroïne les Na'vis, sont traités de façon générique. Aucune véritable personnalité ne se dégage au sein de ce peuple qui finit par paraître essentiellement comme une masse de figurants numériques.
L'empathie avec les Na'vis ne s'obtient dès lors que sur les bases de l'émerveillement évoqué plus haut, puisqu'elle n'a guère d'autre base émotionnelle à laquelle elle pourrait se raccrocher. Il faut dire que si Cameron sait écrire des individus, il a toujours eu du mal a décrire des ensemble ou a développer un aspect choral. De manière moins accentuée, la description des deux classes au sein du Titanic, par exemple, souffrait de défauts similaires.
Le scénario, très simple, est cependant efficace dans son rythme et son déroulement. Clairement, Cameron a élagué au maximum son histoire pour tenter de générer une forme d'émotion primaire, quitte a simplifier les conflits.
Ce choix, clairement, semble être celui de privilégier un traitement de l'Univers d'Avatar via une trilogie -- dont les volets à venir seront alors attendus au tournant sur la nécessaire complexification des enjeux et des dilemmes moraux posés aux personnages.
Vraiment dommage, quand même, qu'Avatar ne s'écarte jamais de son récit absolument linéaire et donc totalement prévisible. Même Titanic réservait plus de surprises. Et puis, surtout, l'histoire d'amour entre Rose et Jack fonctionnait à 100%, malgré le soin apporté à la reconstitution du paquebot et de son naufrage. Ce n'est pas le cas ici, par la faute d'un traitement trop mécanique, manquant de souffle et de passion. C'est en cela qu'on peut sans doute dire qu'Avatar est un film ou, d'un cheveu, la technique l'a malheureusement emporté sur le cœur.
Mais ne caricaturons pas. Il y a de la matière dans ce récit En son cœur, Avatar est le film de deux culpabilités. D'abord celle, classique dans le cinéma américain, de la destruction du peuple Indien par l'homme blanc lors de la conquête de l’Amérique Ensuite, celle de l'homme tout court vis à vis du désastre écologique en cours sur Terre. La temporalité différente de ces deux culpabilités (la destruction du peuple Indien appartient a l'histoire, le désastre écologique est a la fois notre présent et notre futur) sert le propos du film qui prend le parti d'un écologisme radical loin, à mon sens, d'être simplet ou gentillet comme voudraient le faire croire les détracteurs du film de Cameron.
Avatar avance d'abord un propos anticapitaliste assumé. La survie de la Terre et de l'Humanité entrera vraisemblablement en jeu a l'avenir puisque le film aura des suites. En attendant, Cameron choisit très consciemment l'opposition entre d'un coté le respect de Pandora, de sa nature et de son peuple, et de l'autre la logique d'un système fondé sur la recherche du profit -- que Cameron pose comme fondamentalement incompatibles l'un avec l'autre.
Evidemment, cela pose la question d'un tel discours dans le cadre d'un projet Hollywoodien à 500 millions de dollars, lié a des accords publicitaires avec Coca-Cola, entre autres. Faut-il être "pur" pour militer? Peut-être, mais cela revient de facto a exclure systématiquement toute critique radicale du système à l'intérieur de l'industrie actuelle du divertissement, et donc de priver cette pensée de toute caisse de résonance qui puisse la diffuser largement. Et puis n'oublions pas, quand même, les origines prolo de Cameron et la difficulté immense qu'il a eu a s'intégrer et a se faire respecter comme réalisateur à Hollywood du fait de ces origines. Ajoutons, enfin et pour parfaire l'équilibre du tableau, que Cameron n'est jamais devenu un businessman d'Hollywood qui ferait fructifier son nom sur des productions plus ou moins honteuses a l'image, pour citer l'exemple le plus caricatural, d'un Georges Lucas...
Notamment par le biais symbolique, pour le coup original, de la connexion physiologique possible entre les différentes espèces animales et végétales de Pandora, qui a évolué en une sorte d'internet organique reliant l'ensemble du monde vivant de la planète, Avatar pousse la fable écologique jusqu'au dernier retranchement possible.
Soit l'homme renonce a la civilisation qu'il a bâti revient à la nature, et invente quelque chose de nouveau. Soit l'humanité est condamnée a crever d'une mort auto-infligée et, somme toute, bien méritée!
Un aspect, et un conflit puissant, qui ne devrait pas manqué d'être développé par les suites a venir, Cameron ayant renvoyé a celles-ci le portrait d'une Terre agonisante qu'il ne décrit ici qu'au détour d'un bref dialogue. En l'état, on conviendra qu'Avatar est déjà assez loin du divertissement absolument consensuel pour lequel on veut parfois le faire passer...