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07 Mar

Du Maroc, on cède moins à l'emballement

Publié par Sullivan Le Postec  - Catégories :  #Politique, #Présidentielle, #Bayrou, #Ségolène Royal, #Démocratie participative

Du Maroc, on cède moins à l'emballement

Je ne revendique pas la trouvaille, elle est de Daniel Schneiderman, sur son Big Bang Blog, mais enfin voici un article qui pose les choses avec beaucoup de bon sens concernant l'ami François Bayrou. C'est à peu de choses près ce que je dis, notamment sur l'aspect partie de poker menteur d'un homme sans espoir de réunir une majorité mais qui se propose quand même de diriger un pays. L'avantage, c'est que c'est mieux dit et par quelqu'un d'autre que moi ! ;-)

Je commente et j'élargis plus bas (oui, ça va être long... :p)

Législatives françaises:

Bayrou: Du raisonnable sans imagination

Du correspondant à Paris de L'Economiste, quotidien économique du Maroc.

Pas de bilan et peu de programme. La spécialité du candidat UDF: Le discours antimédia.

François Bayrou aime le poker. Il lui arrive souvent, tard la nuit, avec son vieux copain le député Maurice Leroy, de refaire le monde. Ils ne s’arrêtent pas avant le matin. Bayrou joue l’élection présidentielle comme une partie de poker. Toute la table sait qu’il n’a pas de jeu, mais il a tellement l’air d’y croire qu’on le suit, sans trop oser le relancer. On le regarde grimper dans les sondages et les Français le croient presque quand il affirme tranquillement qu’il sera président de la République, quel que soit le candidat au second tour contre lui! C’est en tout cas du jamais-vu: les Français pourraient éventuellement envoyer à l’Elysée le seul homme politique dont ils sont sûrs qu’il n’aura jamais aucune majorité politique pour gouverner. François Bayrou a beau dire que Dominique Strauss-Kahn ou Jean Louis Borloo seraient de parfaits Premiers ministres, ça ne lui fera pas une majorité à l’Assemblée nationale. Sauf, bien sûr, en cas de raz de marée UDF législatives, ce qui est aussi probable qu’un titre de champion de France pour le PSG cette année.

Si François Bayrou est élu, c’est donc la crise politique. Seulement voilà: avec une modeste paire en mains, le Béarnais s’est emballé, il a renchéri et il ne peut plus s’arrêter. Sa survie politique ne tient plus qu’à une seule chose: être présent au second tour. S’il n’y est pas, son groupe politique sera laminé aux élections législatives qui suivront: Nicolas Sarkozy, qui lui a déjà volé bon nombre de ses élus (Robien, Santini, Blanc), prendra un plaisir immense à achever l’UDF en mettant des candidats partout contre elle, quitte à faire élire des socialistes. Mais il y a encore plus surprenant dans l’envolée actuelle de François Bayrou: il n’a ni bilan, ni programme original. Un exemple pour le bilan? En 2002, François Bayrou faisait campagne en se déplaçant dans un bus roulant au colza.

Personnage un peu fade
A l’intérieur, son staff de campagne, qui avait le temps de s’ennuyer, a, pendant des semaines, essayé de faire des fiches sur le bilan du candidat. Ils ont finalement jeté l’éponge, leur candidat n’ayant jamais rien fait, ni au ministère ni au Conseil général. C’en est même extraordinaire: alors que tout homme politique rêve d’une réforme qui porte son nom, Bayrou a passé 4 ans à l’Education nationale sans laisser un seul texte! Depuis 2002, le bilan ne s’est pas enrichi: pendant 5 ans il a critiqué tous les gouvernements et a voté, avec 10 autres députés UDF, les motions de censure de la gauche. Il n’a, bien sûr, pas eu le temps de proposer une seule loi. Gilles de Robien, l’actuel ministre UDF de l’Education nationale, va publier le mois prochain un livre dans lequel il explique jusqu’à quel point son ami François Bayrou est un destructeur, pas un constructeur.

Vendredi dernier il a présenté un programme économique et social encore moins excitant que celui de Raymond Barre en 1976. Du raisonnable sans imagination. En revanche, depuis des mois, François Bayrou s’est fait une spécialité: le discours anti-média. Il veut moraliser les médias français. Là aussi le coup de poker est fabuleux. A l’origine, lors de l’université d’été de l’UDF, il avait juste voulu se venger, en direct, dans le 20 heures de Claire Chazal, du peu de cas dans lequel le tenait TF1. Il s’en est donc pris aux grands patrons de l’industrie qui mettent journaux et télévisions à leur botte. Chazal, surprise, a perdu pied devant l’attaque. Enorme succès médiatique! Et personnel. François Bayrou qui n’a jamais aimé la caméra, qui a souvent du mal à s’exprimer surtout quand il s’énerve (il a été bègue très longtemps), s’est enfin retrouvé là dans un rôle à sa mesure: il peut mordre sans vraiment être dangereux et donner de l’épaisseur à son personnage un peu fade.

Et ce qui n’était qu’une idée d’un samedi soir d’été, est devenu, depuis l’automne 2006, le leitmotiv de sa campagne. Inlassablement il martèle son intention de déposer une loi «interdisant à toute entreprise ayant des commandes de l’Etat de détenir un groupe de presse». Non seulement le PS et le PCF au temps du programme commun n’avaient pas osé aller aussi loin, mais c’est surtout totalement irréaliste et inadapté au mal qu’il veut soigner. Irréaliste car n’importe quelle PME française a eu, au moins une fois dans son existence, un contrat avec l’Etat ou une collectivité publique; cela ne peut donc être discriminant. De temps en temps, Bayrou essaie de préciser sa pensée en évoquant uniquement les groupes «vivant des commandes de l’Etat». Mais là aussi, c’est à côté de la plaque: ni Lagardère, ni Bouygues, ni Dassault, ni Pinault, ni Arnaut, ni Bolloré ne sont dans ce cas-là. Ces groupes qui contrôlent les médias français vivent essentiellement des commandes privées et de l’exportation. François Bayrou peut continuer à exposer sa loi sur TF1, tout le monde sourit en coulisses, Martin Bouygues en premier.

Une paire de deux en mains

Ce qui plaît actuellement chez le spadassin béarnais: son côté bravache, doucement rêveur, un peu décalé dans la vie politique. Et il progresse, non pas sur les voix du centre qui n’existent plus depuis longtemps en France (le dernier centriste élu, Valéry Giscard d’Estaing, l’a été grâce aux gaullistes de Jacques Chirac), mais sur celles, d’électeurs socialistes pas enthousiasmés par Ségolène et de «gaullistes» effarouchés par le libéralisme de Sarkozy. Mais tout le monde va réintégrer son camp à l’approche de l’élection, les socialistes comme les gaullistes, comme à chaque élection. Bayrou va donc faire tapis pour le 1er tour avec une paire de deux en mains.

Antoine CLAUSE

Je reprends le fil ici.

Pour être honnête le même auteur propose ici sur le site de L’Économiste un article sur la campagne de Ségolène Royal, décrite comme ratée. Reste qu'on s'en tient à cette réalité : le problème n'est pas tant Ségolène que les problèmes d'égo des gens autour d'elle, et leur incapacité totale à faire un pas vers elle et ses systèmes de pensée et d'analyse. Elle commande à DSK un rapport, le monsieur se vexe de ce qu'elle ne lui donne pas de consigne autre que d'écrire ce qu'il pense. Ca commence quand même à faire un moment que Ségolène explique sa démarche : sa position d'écoute, son refus de pré-censurer ce qui lui est dit, le fait qu'elle fait au final sa synthèse personelle des différentes remontées, selon ce qu'elle choisit de sélectionner. Eux qui se targuent d'être ô combien plus intelligents qu'elle, ça devrait quand même commencer à pénétrer le cerveau...

Sur le fond, c'est à dire sur la nécessité d'être à l'écoute de ce que les gens ont à dire, expliquer, revendiquer face à une classe politique qui s'est coupée du monde réel depuis des décennies, sur la nécessiter d'impliquer, de faire participer les citoyens à la démocratie pour d'une part la ré-équilibrer et d'autre part leur en re-donner le goût, et sur son programme, celui d'une gauche fidèle à ses valeurs mais pas aveuglée par elles, engagée dans une vision pragmatique, réaliste, capable de dire haut et fort que droits = devoirs, sur le fond, donc, qu'y a-t-il de raté ?

La France vit une crise politique majeure, qui appelle un profond renouvellement de son système. Ce n'est pas une phrase toute faite, c'est un constat d'urgence qu'il convient de tirer au plus vite, au même titre que celui de l'urgence écologique.
Nos chiffres de participation sont lamentables, et n'offrent dès lors pas une assise de légitimité suffisante aux élus.

Nos pourcentages de voix éparpillées sur des candidatures sans queue ni tête (Le Pen, Laguillier, CPNT, j'en passe parce qu'avec un peu plus d'acidité, j'écrirais Bayrou à la fin de la liste), ce qui s'ajoute et renforce ce premier problème, est délirant.

La défiance absolue, déterminée, des français envers les politiques se constate tout les jours, à la moindre discussion.

Le pays n'enchaîne plus que les crises, différentes et, même parfois contradictoires. Refus de l'Europe, émeutes en banlieue, manifs anti-CPE (contrat féroce et invraisemblable sans équivalent dans aucun pays occidental, n'en déplaise aux argumentaires des libéraux, mais qui ne justifiait quand même pas des manifestations mettant le plus de monde dans la rue depuis mai 68), j'en passe aussi.

J'entends les critiques selon lesquelles Ségolène Royal ne propose pas assez pour changer les institutions, le système, le mode de gouvernance française. Très bien. Que proposent les autres ?

Bayrou ? Une impasse politique, une cohabitation permanente, le consensus mou institutionnalisé Les cohabitations répétées ces vingt dernières années sont à mettre en tête de liste des causes du malaise actuel. Brouiller les clivages, réduire les choix pour n'en proposer qu'un, c'est alimenter défiance, doute, et crise. Et puis quelle cohérence entre le rejet du Traité Constitutionnel Européen en 2005 et l'élection d'un Président Fédéraliste en 2007 ? C'est peut-être la le pire, dans la candidature Bayrou : même sur l'Europe, son combat personnel, je ne le crois pas en mesure de faire réellement avancer les choses parce qu'il est trop convaincu face à une France trop défiante.

Sarkozy ? Pas de changements constitutionnels au programme. Pas d'interdiction du cumul des mandats, pas de dose de proportionnelle à l'Assemblée, pas de réforme du Sénat. Tout va bien, madame la Marquise, le système marche très bien, il lui manquait juste un Sarkozy.

Il propose de court-circuiter le peuple en validant un mini-traité européen au niveau parlementaire, plus sûr moyen pour fermer la cocotte sur une haine de l'europe qu'il a aura fait enflée, chauffée à blanc, qui ne pourra qu'exploser dans une tonitruante déconstruction globale.

Les autres ? Aucune chance d'être élus ! Faire péter le système avec un vote Le Pen ? Chimère : on a vu le résultat en 2002. Le système en ressort pérennisé quoiqu'encore plus affaibli et incapable de faire face aux défis du lendemain (et même ceux d'aujourd'hui et d'hier : c'est qu'on a pris un peu de retard...)

Ségolène Royal propose la limitation stricte à un seul mandat, une mesure indispensable pour enclencher le renouvellement de la classe politique, parce que les défis de demain ne seront pas résolus par les hommes des années 70 (ou 60, ou 50). Elle propose de ré-équilibrer les pouvoirs entre le Président et l'Assemblée Nationale. Ce serait - enfin ! - la fin de l'utopie de l'homme providentielle, de l'Elu au sens mystique du terme qui, à chaque génération se lèverait pour guider le bon peuple vers la lumière. En pratique, c'est un certain contrôle des décisions du chef de l'Etat en matière de politique étrangère et de Défense, la fin du 49-3 (loi indigne), le renforcement des capacités d'initiative du Parlement, une réforme profonde du sénat, cette anomalie scandaleuse d'une assemblée acquise ad vitam à un seul parti qui perd dès lors sa légitimité et se réduit à ce qu'il est devenu : un cimetière des éléphants. C'est aussi, avec l'introduction d'une dose de proportionnelle n'empêchant pas la stabilité du système, la possibilité pour les français de chaque tendance de se sentir représenté, d'avoir droit à la parole même si elle est minoritaire. Parce que être en minorité, c'est compréhensible et supportable, se voir nier son droit d'exister, ça l'est beaucoup moins : je ne suis pas militant gay pour rien.
Enfin, la démocratie participative a les moyens d'entamer le long chemin de réconciliation nécessaire entre les français et leur démocratie.

Nicolas Sarkozy objecte : la démocratie d'opinion, c'est une catastrophe.

C'est qu'il n'a rien compris (ne veut pas dire qu'il comprend). La démocratie d'opinion, c'est ce qui est en oeuvre actuellement et depuis 20 ans. La démocratie d'opinion, c'est ce à quoi il s'est lui-même soumis, par exemple quand il a milité pour le retrait du CPE de de Villepin face à la pression de la rue, alors qu'il propose aujourd'hui de remplacer le CDI par un contrat dans la même inspiration (certes, sans doute allégé de certaines de ses plus scandaleuses dispositions, comme l'absence de justificatif des licenciements).
La démocratie participative n'est pas la démocratie d'opinion.

Cette dernière suppose de gouverner sur la base de brèves de comptoir, ni plus ni moins, sous la pression d'une masse dont on ne peut savoir si elle est minoritaire ou non, qui est largement mal ou peu informée, ou qui fait grève pour sécher les cours, etc. (On va m'accuser de caricaturer. Sérieusement, vous pensez vraiment que le fond n'est pas là ?)

La démocratie participative, elle, suppose d'impliquer directement les citoyens dans les processus, de les mettre face à la complexité des débats, et face à leur responsabilité. Il ne s'agit pas de leur laisser donner leur opinion sur un traité constitutionnel qu'ils n'ont pas lu et qu'on ne leur a que très peu donné les moyens de comprendre. Il ne s'agit pas de les laisser juger par rapport à des compte-rendus partiels et partiaux d'un JT de TF1, d'un article du Figaro ou de Libé. Il s'agit de les faire assister, participer, à l'ensemble de la discussion autour d'une proposition donnée, comme on assiste à tous les témoignages et les plaidoiries d'un procès, et, sur cette base, de forger un avis construit, une intime conviction. Non, le terme de Jury Citoyen n'est pas aussi vide de sens qu'on a voulu le dire. Non, il n'est pas question de mettre en accusation les politiques, tous les politiques, sur un poujadiste "tous pourris" : cette accusation-là a commencé depuis 15 ou 20 ans, il s'agit d'en solder les comptes et d'ouvrir sur la prochaine page.

La page de la démocratie retrouvée, assainie, celle de la république de demain.

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