France 4: déjà la fin d'une ambition?
Rémi Pflimlin a cédé. Selon Les Echos, il a annoncé jeudi soir dans un courrier adressé aux salariés que France 4 serait transformée en chaîne pour enfants pendant la journée.
C’était le souhait de la tutelle, tel qu’il avait été exposé par Aurélie Filippetti pendant la campagne Présidentielle. Pflimlin et son équipe avaient proposé des solutions alternatives : monter à 100% dans Gulli, dont France Télévisions est actionnaire minoritaire avec Lagardère, ou bien revendre ces parts et lancer une nouvelle chaîne jeunesse 100% détenue par France Télévisions, ce que Pflimlin assurait pouvoir faire à budget constant, avec les droits dont dispose le groupe.
Mais visiblement, ce bras de fer a été perdu. La solution du gestionnaire à courte vue, sans recul sur la situation du PAF et sans ambition sur les programmes a été retenue. Comme d’habitude. En France, cela s’est toujours passé comme ça. On n’a pas le paysage télévisuel sinistré actuel par hasard.
France 4 avait longtemps stagné dans le brouillard éditorial et l’absence d’identité qui caractérise la quasi-totalité des chaînes de France Télévisions (France 5 étant la seule exception, quoi que même cela se discute pour ce qui concerne le prime-time). Mais depuis un an environ, la marche avait été engagée : France 4 devenait une chaîne visant les jeunes adultes, les 15-35 ans délaissés par le privé, qui ne s’intéresse qu’à la seule cible qu’il est parvenu à monétiser sans avoir à faire le moindre effort en matière d’éditorial et de qualité des programmes : la « ménagère », femme de moins de 50 ans responsable des achats du foyer. L’été dernier, France Télévisions avait annoncé le lancement d’une politique de création de fictions originales pour France 4, avec la commande d’une saison 3 de « Hero Corp » et le lancement de deux appels d’offre – l’un pour un soap quotidien, l’autre pour une série de 10 épisodes de 52’ destinée aux premières parties de soirées de la chaînes. France 4 avait certes cinq ans de retard sur la TNT britannique, et le modèle de BBC3, qui avait diffusé ses premières séries dès 2007, mais elle enclenchait enfin un mouvement indispensable de montée en gamme de la TNT française, que TF1 et M6 s’étaient jusque là entendus à maintenir à un niveau proche de l’indigence absolue.
La décision de saborder les programmes de journée de la chaîne pour les remplacer par des dessins-animés, si elle ne stoppe pas complètement la politique en cours, va sérieusement l’amoindrir et la compliquer.
On me répondra peut-être que ce modèle est justement celui de la BBC, puisque les programmes du France 4 local, BBC 3, commencent à 19h et sont précédés de ceux de la chaîne enfant, CBBC.
Certes. On notera tout de même qu’il y a bien deux chaînes avec deux noms différents qui se partagent un canal, pas une chaîne qui change brusquement d’identité. Les plans précis sur ce qu’il va se passer en France ne sont pas très clairs. Dans tous les cas, on va rajouter de la confusion là où la clarté commençait tout juste à s’imposer. Et France 4 est le lien, très ténu, qui unit encore France Télévisions et les moins de quarante ans. Sans cette chaîne, le groupe a-t-il un avenir à l’horizon de dix ans ?
Mais le pire n’est pas là. La réalité, c’est surtout que le niveau d’ambition et de diversité des programmes de la BBC n’a strictement rien à avoir avec ce qui existe en France. Pour cette raison, supprimer le daytime de France 4, c’est lui couper les ailes.
Lundi dernier, par exemple, jour où France 4 programme habituellement des documentaires en prime-time, c’est les programmes d’après-midi, en l’occurrence l’excellente série « Urgences » – une œuvre importante qui a toute sa place sur le service public – qui ont réalisé la meilleure audience de la journée.
Prenons un autre exemple, plus concret : celui de la série britannique « Doctor Who ». Car, même si elle a parfois pêché par manque d’ambition dans ce domaine, France 4 a contribué à la visibilité accrue des meilleurs programmes de la télévision européenne, comme cette série de SF, institution de la culture britannique. « Doctor Who » a parfois du mal à fonctionner en première partie de soirée. Les audiences sont bonnes quand la programmation est événementielle, comme par exemple avec la Nuit Doctor Who, proposée en mai 2012, mais elles ont du mal à tenir sur plusieurs semaines. Pourtant, France 4 continue de miser sur cette série, de lui offrir une excellente exposition, et contribue ainsi à la diversification nécessaire des programmes du paysage audiovisuel français, qui ailleurs se contente d’alterner en boucle « Les Experts » et ses copies, « Navarro » et ses descendants, et des émissions de reportage-divertissement interchangeables. Si France 4 continue c’est parce que cela lui est profitable par ailleurs : les rediffusions de « Doctor Who » en daytime, font d’excellentes audiences. Privées d’elles, la diffusion de la série en prime a-t-elle encore un sens ?
Un exemple de plus : « Fais pas ci, Fais pas ça » aurait-elle atteint le niveau de notoriété qui lui a permis de devenir le principal succès de France 2 sans les rediffusions de la série en journée sur France 4 ? La chaîne TNT de France Télévisions a été cruciale dans la construction de ce succès et son inscription dans le long-terme.
Dans le même esprit, on peut se poser la question des créations originales de France 4 qui ont été annoncées. Leur économie tiendra-t-elle debout si elles ne peuvent pas être amorties en journée ?
Peut-être y avait-il besoin d’une chaîne jeunesse de service public. Apparemment, Gulli dérivait dans une direction peu satisfaisante. Reste que le gouvernement actuel s’inscrit dans la tradition de ce qu’il s’est toujours passé en France depuis le milieu des années 80 : le soutien sans failles au privé, à qui on a accordé six nouvelles chaînes pas plus tard qu’en décembre dernier, tandis que le service public fait toujours les frais des difficultés du secteur. Il n’y a pas d’équivalent de la BBC en France parce qu’on a tout fait pour que cela n’arrive pas. Tous les différents gouvernements depuis l’éclatement de l’ORTF se sont, à cet égard, fait les complices des lobbies qui se sont constitués autour de TF1 et de M6.
France 4 était le seul signe positif (et encore était-il encourageant plus que vraiment enthousiasmant) dans une crise de la fiction française qui semble devoir connaître en 2013 une rechute sévère, sur fond de militantisme renouvelé pour l’allègement drastique des obligations d’investissement et de diffusion des chaînes privées, et de course à la coproduction internationale abrutissante. La bande-annonce de « Jo » est à cet égard sidérante. Financer avec de l’argent français une fiction qui montre une France de carte postale (c’est à peine si les figurants ne sont pas dotés du combo béret-baguette), oublie la langue française (pour mieux massacrer l’anglais), c’est l’ambition culturelle française de notre époque ?
Si c'est le cas, le pire est alors à craindre. Et je ne parle plus "que" de télé.