Good vs. Evil dans Night Stalker
Depuis quelques semaines, et pour encore quelques semaines -- mais pas beaucoup, on va le voir plus loin -- M6 diffuse Night Stalker. Produite par ABC en 2005, cette série est créée par Frank Spotnitz, numéro 2 de X-Files et co-auteur de la "mythologie" de cette série avec Chris Carter. X-Files dont l'une des inspirations originelle était le Kolchak, the night stalker qu'ABC proposa donc à Spotnitz de réinventer, manière de boucler la boucle.
Carl Kolchak est journaliste spécialisé dans les affaires criminelles. Il rejoint le Beacon, journal de Los Angeles dirigé par un ami qui lui doit sa carrière. Là, il clashe assez vite avec Peri Reed, la journaliste qui dirige la rubrique criminelle du Beacon. Mais, comme leur dit leur patron, ces deux là "are supposed to get along!".
Sauf que Peri est quand même décontenancé par ce type qui semble presque prévoir à l'avance les rebondissements de l'affaire bizarre qui les occupe. Après enquête, il s'avère que l'affaire en question a de troublants points communs avec celle du meurtre de la femme de Kolchak, dont il fut le principal suspect. C'est uniquement faute de preuve qu'il n'a pas été poursuivi, mais un agent du FBI continue de le traquer, l'agent Fain qui, d'ailleurs, était un ami de Kolchak avant d'acquérir la conviction qu'il avait assassiné Irene Kolchak, dont il jouit aujourd'hui du conséquent héritage.
L'épisode Pilote tourne autour d'une histoire étrange qui implique des coyotes qui n'en sont pas vraiment, un enlèvement d'enfant, et des marques étranges sur le poignet. Un Pilote qui laisse à sa conclusion sacrément perplexe puisqu'il n'y a quasi pas d'explications données au spectateur sur les événements étranges auquel il a assisté pendant 42 minutes. Ou du moins juste le minimum légal pour laisser apparaître les récurrences (la Volonté du "Mal" à l'oeuvre de récupérer un enfant, présente dans l'intrigue du pilote elle-même, et dans le fait qu'Irene Kolchak était enceinte et qu'on lui a arraché son fœtus ; la marque au poignet et les gens sur lesquels elle se trouve, vivants ou morts...) et donc esquisser le sens qui se cache derrière. Esquisser, seulement : les théories, c'est à soi de les faire.
C'est déconcertant, mais c'est évidemment une bonne part de ce qui enchante ceux que ce pilote fascine.
Nous sommes livrés à nous mêmes, laissés perdus et décontenancés comme le sont les personnages. Comme nous le serions si demain, le surnaturel, par nature incompréhensible, faisait irruption dans nos vraies vies. Pas question de lui donner ici un sens trop facile, de plaquer une métaphore thématique simpliste, de le justifier d'un baragouinage pseudo scientifique en guise d'excuse.
Et c'est une véritable marque de fabrique de Night Stalker -- en tout cas de sa mythologie. Le double-épisode mythologique qui a eu le temps d'être filmé (The Source et The Sea) étant une véritable énigme, en l'absence de suite. On est profondément dans du Spotnitz-style, ça rappelle immensément la saison 3 de X-Files. C'est à dire la saison mythologique par excellence, dont les deux double-épisodes doivent 75% de leur contenu à Spotnitz. La saison où on a vu poindre les clameurs de "j'y comprend rien c'est incohérent", ce qui est forcément ironique maintenant que ces épisodes sont devenus limpides (pensons à Nisei/731 où on nous expliquait que les hybrides étaient créés parce que résistants à une forme de guerre biologique, soit l'explication de base de toute la mythologie, mais alors impossible à contextualiser, et donc à comprendre, puisqu'on avait même pas encore fait connaissance avec l'Huile Noire, et qu'il faudrait encore plus de temps pour que l'on comprenne la véritable nature de celle-ci et sa nature de Virus).
Night Stalker, c'est une série construite dès le départ selon ce type de principe. A l'heure de la série tout-à-l'esbroufe qui crame tout ce qu'elle a à donner en une saison avant d'offrir quatre ou cinq saisons de vide intersidéral derrière, c'est évidemment une création à contre-temps.
"Pieces", en anglais était un mot clef, qui n'illustre pas le visuel du générique pour rien. L'intrigue nous proposait, en vrac, les pièces d'un puzzle (la même structure que la mythologie de X-Files, versus la structure narrative classique du cause and effect) qui devaient être rassemblées par un homme lui-même en pièces depuis la mort de sa femme (Kolchak a fait un séjour dans une institution psychiatrique après celle-ci). Mais qui a parfois toutes les apparences du contraire.
Car Kolchak a un coté belle caisse, villa sublime à l'aménagement design, fringues de luxe à la dernière mode, qui n'était pas une concession gratuite à un facteur glamour, mais un élément clef de la caractérisation de Kolchak, dans lesquels un œil ultra perçant aurait pu lire dès le début ce que Spotnitz entendait proposer.
En effet, le même principe que pour les intrigues s'applique aux personnages. La série est incompatible avec le nouveau formatage en vigueur. A savoir poser une dizaine de clichés sur pattes dans le pilote en guise de personnages facilement identifiables et assimilables par le public. Et puis, ensuite, si on a l'occasion (et une team de scénaristes avec suffisamment de talent) d'essayer de rajouter de la subtilité.
[[Au passage, cette méthode a vraiment fait la preuve de son échec. Au pire, la subtilité n'arrive jamais (Lost, Heroes) et on se trimbale des vignettes qui sombrent dans la caricature en douze épisodes, au mieux on arrive "à faire croire que", avant que forcément ça s'écroule à la première difficulté et qu'on régresse à l'atavus de personnage original (Battlestar Galactica).]]
A la base, Night Stalker pose son ambition. Prendre son temps. On lève des interrogations sur les personnages auxquels on ne répond pas -- encore (il y en a quinze à propos de Kolchak qui viennent à l'esprit dès le Pilote), on suggère ou laisse entendre au lieu de balourdement faire tout dire aux personnages eux-mêmes, comme si tout un chacun parlait au quotidien comme dans un salon de psychanalyste. Et on esquisse juste les personnages secondaires, leur laissant la liberté de se développer avec naturel au fil du temps plutôt que de livrer du clef en main.
Et compte-tenu de l'ambition démente que portaient ces personnages, c'était diablement malin.
J'ai parlé de ce qu'on peut aimer ou détester dans Night Stalker, cette façon d'en garder sous le capot, de s'adresser à l'intellect et à la curiosité plutôt que de se prostituer pour faire revenir au deuxième épisode, mais il faut aussi, quand même, revenir sur l'incroyable travail sur l'ambiance ! On n'avait rien vu de si précis, abouti, élégant dans le fantastique depuis Miracles (même chaîne, même sort : six épisodes et puis éjectée). La photographie incroyable, la musique parfaite et qui change enfin des remix de Mark Snow entendus dans nombre d'autres séries fantastiques, la réal qui fait des efforts, ces arrières plans de folie qui font participer la ville à l'action, l'ambiance fourmillante de la rédaction du journal dans le pilote...
Incontestablement, pourtant, la série a des défauts, dont l'apparent manque d'originalité. Précisément, aussi, parce que Spotnitz a du penser que la nature de X-Files-like retiendrait les gens suffisamment longtemps pour que ses cartes aient un impact au moment où il les abattrait. On se retrouve donc avec quelques histoires vraiment trop réminiscences de choses déjà vues, sans que la plus-value de Night Stalker soit flagrante.
Autre inconvénient : celui du personnage de Gabrielle Union, Peri Reed, trop fade en l'état.
C'est une résultante directe du traumatisme imposé à Chris Carter et Frank Spotnitz par la réception catastrophique par les benêts américains du fantastique personnage de Monica Reyes - version saison 8, qui avait déjà motivée une dépersonnalisation massive et un affadissement considérable entre la saison 8 et la 9 de X-Files. Mais Reed aurait sûrement pu évoluer dans le bon sens.
Au final, les dix épisodes produits sont un peu inégaux. Mais le dixième épisode diffusé en ordre ABC (je crois que c'est aussi l'ordre M6, malheureusement alors qu'ABC a fait n'importe quoi à la base) est une tuerie à ne pas manquer.
Surtout, ce qui était à venir, la série en germe dans ces dix premiers épisodes, c'était un quelque chose de vraiment inattendu et culotté. L'exemple le plus flagrant en quelques lignes ? Vous aviez cru que Peri Reed / Kolchak rejouaient la dualité sceptique / croyant de X-Files? Que nenni ! La dualité de Night Stalker, c'était en fait...
Je précise que là, je spoile virtuellement la suite de la série. Virtuellement parce que la suite n'existe pas, mais enfin vous pourrez préférer attendre la fin de la diffusion des 10 épisodes...
Donc, la dualité de Night Stalker, c'était... le Bien et le Mal.
Oui, Peri était le Bien, et le personnage principal de la série était donc le Mal. Mais si, un type détestable, profondément égoïste, attiré par le clinquant et les grosses caisses, dont on se demande légitimement s'il ne pourrait pas être un assassin, et qui, sans en être encore conscient puisqu'il n'a pas accouché de sa nature intrinsèquement maléfique, a concouru directement à la mort de sa femme.
La vérité, c'est qu'il n'y a pas tout les jour de séries qui naissent avec de telles ambitions, aussi peu consensuelles. Dommage qu'il n'y ait plus de place à la télé que pour le consensuel de nos jours, quelques îlots câblés mis à part.