J'ai enfin vu la fin des Urgences (Intégrale, partie 2)
Dans l’épisode précédent, Retour aux Urgences, j’avais entrepris de revoir cette grande série médicale, dont je n’avais vu l’essentiel des épisodes qu’une seule fois, et dont je n’avais pas vu du tout les dernières saisons.
Ce bilan à mi-parcours, après la septième saison (sur quinze au total), je le concluais en disant qu’il y avait ‘‘de fortes chances que mon voyage dans la deuxième moitié de la série soit moins plaisant que celui dans la première’’. Evidemment, c’était pas faux, même si, finalement, cette saison sept restera comme l’une des plus mauvaises de la série, avec la douzième.
Les trois saisons dont le showrunner était Jack Orman, qui a pris le relais après le départ de Lydia Woodward à la fin de la sixième, ont été particulièrement difficiles à suivre même si, heureusement, rien ne sera plus aussi ridiculement hystérique que la première moitié de la saison 7.
Au-delà des nombreux changements qu’a effectué Orman, qui sont autant de ruptures de continuité et de l’intégrité des personnages (j’en ai parlé dans mon précédent bilan), il y a surtout une particularité de son point de vue d’auteur qui rentre fondamentalement en conflit avec la nature de ER. Jack Orman est persuadé que tous les êtres humains sont corrompus. Avant lui, les personnages de Urgences pouvaient avoir beaucoup de défauts (Kerry Weaver, évidemment, Doug Ross aussi, entre autres) mais ils étaient intègres. Sous Jack Orman, petites et grandes démonstrations de corruption s’enchaînent: de Mark Greene qui laisse volontairement mourir un patient à la fin de la saison 7 à Kerry Weaver qui mange les biscuits offerts par un groupe pharmaceutique qu’elle avait pourtant interdit aux autres de consommer. D’ailleurs, introduisant presqu’en même temps les personnages de Gallant et l’insupportable Pratt, Orman oublie presque instantanément le premier pour ne se concentrer que sur le second. Un temps bombardé deuxième personnage principal au générique, Mekhi Phifer sera finalement rétrogradé discrètement plus tard, les auteurs constatant que le personnage ne déclenche pas l’empathie chez la majorité des spectateurs.
Ces personnages comme Gallant oubliés en rase campagne, c’est d’ailleurs une caractéristique de la deuxième moitié de Urgences, même s’il existe un exemple antérieur (Jeanie Boulet après la saison 4). Dès la saison 7, les scénaristes ne savent plus quoi faire du Docteur Malucci, incarné par Erik Palladino. Il est réduit au rang de figurant amélioré n’ayant à se mettre sous la dent qu’une scène gag par épisode, au mieux. Pourtant, Palladino est un interprète excellent qui arrive à donner de la chaleur à ce personnage de Docteur jouisseur un peu je-m’en-foutiste. Bizarrement, après avoir viré Palladino, les auteurs la série n’auront de cesse que d’introduire des personnages similaires – Morris, Barnett. Même si j’ai fini par bien aimer Barnett, aucun n’arrive à la cheville de l’original.
Finalement, Jack Orman peut remercier Anthony Edward d’être parti pendant son run. Grâce à cela, ce qu’on retient de ces trois années, c’est avant tout la mort de Mark Greene, et le très joli épisode hawaïen d’adieu écrit et réalisé par John Wells.
John Wells, justement, reprend la main après le départ d’Orman. Dès le final de la saison 9, il signe un vrai choc: ‘‘Kisangani’’ (9x22), le premier épisode africain. Très symptomatique d’une série qui tenait à avoir une portée politique et sociale. La saison 10 introduit un nouveau personnage avec lequel il est possible de rentrer en empathie : Neela. Les auteurs ne lui ont pas forcément fait de cadeau dans son évolution au fil de ses six saisons de présence, mais elle est le fil qui, souvent, m’aura empêché de décrocher de Urgences.
La dixième saison est plutôt de bonne facture, malgré l’épouvantablement raté départ de Romano, dans l’attaque de l’hélicoptère 2.
La onzième, elle, est véritablement excellente, bénéficiant notamment du retour temporaire de Lydia Woodward, qui signe trois épisodes. On trouve des grands épisodes en abondance : le sublime et très cher à mon cœur ‘‘Just As I Am’’ (11x14) dans lequel Kerry Weaver retrouve sa mère biologique après des années de recherche, mais décide de rompre quand elle découvre que celle-ci n’est pas en mesure d’accepter son homosexualité; ‘‘Time Of Death’’ (11x06) qui raconte l’agonie d’un patient en temps réel ; ‘‘Skin’’ (11x11) dans lequel Abby est prise en otage par des jeunes adolescents membres d’un gang pour tenter de sauver l’un des leurs, blessé par balle; ‘‘Carter est Amoureux’’ (11x21) dans lequel Paris est sublime et la préparation du départ heureux de Carter touchante. Quelques fils sont vraiment réussis, comme le développement de la relation touchante entre Neela et Gallant, même si celle-ci sera malheureusement gâchée l’année suivante. On note aussi quelques jolis moments de nostalgie positive, comme le retour de Chad Lowe et du personnage de Monsieur Roubadoux, très important pour le personnage de Carter.
C'est à partir de là que les épisodes sont devenus inédits pour moi. Le départ de Carter dans cet épisode à l'image choc du balcon qui s'effondre pendant une fête avait été mon départ de spectateur lors de la diffusion originale.
L'absence de Noah Wyle et du personnage de Carter place John Wells dans une position difficile: ni Kovac (un personnage assassiné par Orman), ni encore moins Pratt ne sont des premiers rôles masculins crédibles. Wells a envie d’engager John Stamos mais, à l’époque, l’acteur est engagé sur une autre série même si celle-ci, tout le monde le sait, ne fera sûrement pas long feu. Wells fait le choix de lui garder la place. Goran Visnjic prend la tête du générique, grillant la politesse à Abby (l’équipe de «ER» jugeait visiblement inacceptable qu’une femme ouvre le générique, c’est assez délirant).
La douzième saison se fait donc sans véritable personnage central positif (Abby ayant été plombée par la somme de problèmes que les scénaristes lui ont jeté à la figure, et semble structurellement malheureuse et sans espoir). Elle le paye très cher. John Leguizamo est chargé à lui seul d’animer les intrigues, dans un arc ridicule et complètement hors-sujet. Avec la septième, c’est la plus mauvaise saison de l’histoire de la série (malgré un arc africain à nouveau réussi).
Lors des trois dernières saisons, John Wells engage finalement l'attachant Stamos, mais l'encombre d'une backstory sentimentale compliquée au possible, et très pénible. Surtout, il délègue à nouveau la charge de la série, cette fois à David Zabel. Celui-ci, malheureusement, semble secrètement convaincu que Urgences n’a plus rien à dire. Il enfonce la série dans le soap opera, parfois très mauvais (le mariage d’Abby et Luka est absolument épouvantable). Les tragédies s’abattent sur les personnages sans discontinuer: forcément, ils font continuellement la gueule. Neela n’a pas le temps de se remettre du deuil de la mort de son mari en Irak que son nouveau petit ami se fait amputer des deux jambes après un accident.
Nombre de nouveaux personnages sont introduits selon la même recette qui a échoué tant de fois auparavant, en les rendant d’abord détestables. Le tout premier plan de Brenner (l’excellent David Lyons) le montre au lit au milieu de deux femmes, fascination longue et malsaine de la série pour les personnages censément hyper-masculins. La façon dont la série a sombré dans la misogynie dans ses dernières années est vraiment étonnante. Heureusement, l’arc de Brenner sera plus intéressant que cette introduction catastrophique.
Et puis heureusement, il y a toujours, de temps à autre, un grand épisode qui sort du lot et bouleverse le spectateur, comme le très beau ‘‘Body and Soul’’ (12x13) dans lequel on vit au fil du temps la relation entre Abby et le mentor qui l'a persuadé de devenir médecin, atteint d'une maladie dégénérative.
L’approche de la fin de la série permet de rappeler la bonne époque. D’autant plus que la grève des scénaristes a donné in extremis à Urgences une saison supplémentaire pour la sauver d'une fin impréparée. Le départ de Maura Tierney force à introduire de nouveaux personnages principaux, notamment celui d’Angela Basset, forcément un peu sous-traités. Au moins ce personnage est un bon moyen d’amener un retour d’Anthony Edwards, le temps d’un épisode.
La toute fin de la série, plutôt nostalgique et intelligemment centrée sur Carter, est dans l’ensemble très réussie. Grace à cela, on quitte les Urgences sur une impression positive. C’est sans doute l’essentiel.