La guerre est déclarée, symbole d’un cinéma français régressif
Le phénomènounet de la rentrée (le cumul total des entrées devrait s’arrêter en dessous du million, nous sommes donc dans un succès très citadin, pour ne pas dire parisien) est donc La Guerre Est Déclarée. Le film est porté aux nues par une critique quasi-unanime. Dont il faut dire qu'elle fait beaucoup de mal au cinéma.
Il ne s’agit pas de dire que La Guerre est Déclarée est un navet (ce n’en est pas un), ni qu’il n’y a aucune bonne idée (il y en a, et plusieurs). Juste que le film est, au mieux, très approximatif. Et que les bonnes idées ne suffisent pas à élever au rang de chef d’œuvre ce qui ressemble fort au résultat du travail d’un Lycéen en option cinéma.
Tout cela ne serait pas énervant s’il n’y avait pas dans «La Guerre Est Déclarée» le potentiel d’un vrai bon film, et si l’hystérie médiatique qui a entouré sa sortie n’était pas de nature à empêcher Valérie Donzelli de devenir une vraie réalisatrice, plutôt qu'à l’y aider.
Cette réaction n’est malheureusement pas complètement surprenante. Elle m’a d’ailleurs renvoyé à l’accueil critique qu’avait reçu «Les Chats Persans», célébrant outrageusement ce qui n’était jamais qu’une collection de vignettes maladroites, dépourvues de personnages et de dramaturgie. La sincérité et l’émotion brute transmises par les auteurs, qui racontaient leur vécu en Iran, avaient suffis, en dépit de l’extrême faiblesse cinématographique de l’œuvre.
J’y avais vu à l’époque une forme de condescendance un tantinet raciste, mais l’accueil du film de Donzelli me détrompe, en même temps qu’il m’inquiète. «Les Chats Persans» n’a donc pas bénéficié de ces dithyrambes parce qu’il était Iranien, mais parce qu’une certaine critique est désormais fétichiste de cet amateurisme ‘‘sincère’’ et porteur ‘‘d’émotions brutes’’. Pour elle, l’apprentissage et le travail sont désormais des filtres à bannir et le cinéma n’a nulle part où aller que vers l’infantile. Les réalisateurs sont invités à réinventer le fil à couper le beurre, film après film et chacun de leur coté. Voilà ce qui arrive quand on décrète que toute forme d’industrie est nuisible, et que toute règle est un vice.
Il est possible, pourtant, de garder la sincérité et l’émotion d’un projet comme La Guerre Est Déclarée sans qu’elles ne soient filtrées par un travail sérieux sur le scénario et la réalisation. Un peu d’intérêt pour la dramaturgie et la grammaire visuelle aurait permis à ce film d’avoir une deuxième jambe aussi solide que la première, et donc de tenir debout.
En l’état, on désespérera donc que pour chaque bon moment, il nous soit imposé d’en supporter un autre, allant du raté au complètement ridicule. Le point d’orgue du versan nul du film est cette interminable séquence, au pathos écœurant, dans laquelle les personnages apprennent les uns après les autres la maladie d’Adam -- leurs interprètes respectifs se livrant à un concours sidérant du plus mauvais acteur dans une performance grotesque. Jérémie Elkaïm, sympathique comme tout mais qui ne saurait pas jouer la comédie même si sa vie en dépendait, l'emporte évidemment dans un moment qui met mal à l'aise tellement il fait pitié. Mais que ses partenaires ne soient pas jaloux : eux-aussi sont mûrs pour intégrer sur le champ les Feux de l’Amour...
A l’heure où les salles de cinéma projettent La Guerre Est Déclarée d’un côté, et les deux remakes de La Guerre des Boutons de l'autre, il y a de quoi s’inquiéter pour un cinéma dans lequel la technique cinématographique n’est plus réservé qu’à des ‘‘films de producteurs’’ sans âme -- sans parler du fait que même chez les blockbusters français, on compte pas mal d'approximations.
Evidemment, cette dichotomie s'accentuant ne fera qu’encourager certains ayatollah critiques à pousser les ‘‘auteurs’’ français vers un cinéma primaire, qu’il faudrait surtout qualifier de régressif.