Les séries à mythologie, épisode 3: feedback
Finalement, il y aura quatre billets Mythologie, celui-ci consacré à mes réponses et réflexions suscités par vos commentaires constituant un menu suffisamment copieux pour se suffire à lui-même. Les premiers épisodes sont accessibles ici et là.
Je commence par citer un compliment de Guigui, parce que c'est toujours agréable, et parce que cela me permet de clarifier un point:
Tout ce que tu as mis dans ton article c'est grosso-modo ce qui m'est venu à l'esprit en matant le final de LOST: l'admiration inconditionnelle de BABYLON 5 en moins ;).
En effet, je tiens à signaler que si mon admiration pour Babylon 5 est réelle, elle n'est pas inconditionnelle. Le billet original pointait d'ailleurs certains des éléments qui peuvent être améliorés, et qui justifient de donner une suite à ce genre de la série mythologique, qui serait inutile si B5 en avait été une apothéose absolue, au-dessus de tout reproche. Mais pour ce qui est de dire que Babylon 5 est la meilleure écriture d'une mythologie à ce jour, quand on l'a vue ça ne souffre même pas la contestation.
Tant qu'on est sur les séries que j'admire et celles que je n'admire pas tant que ça, Kimon revient sur Battlestar Galactica:
Je te trouve assez sévère sur Battlestar Galactica, tu dis qu'elle était trop courte pour que les journalistes s'engagent sur sa qualité avant sa chute alors que "Time" la déclarait comme la meilleure série du moment durant sa saison 2.
Je me suis mal exprimé. Effectivement, les médias se sont engagés sur sa qualité, à juste titre, à son commencement. Et moi-même, j'en ai copieusement fait la publicité dans mon entourage à l'époque des deux premières saisons. Justement, après une première saison magnifique, et une deuxième saison excellente malgré un petit passage à vide – rétrospectivement on réalise que les défauts de BSG sont nés cette année là – la série a été encensée par la critique.
Et ce que je disais, c'est qu'avec un total de quatre saisons, c'était trop peu pour que la critique qui avait crié au génie puisse se retourner sans craindre de mettre en jeu sa crédibilité. Du coup, les saisons 3 et 4 ont bénéficié d'une étonnante magnanimité alors qu'à partir du cinquième épisode de la saison 3 la série a entamée une glissade vers la médiocrité et la débilité, pour devenir totalement nulle dès la deuxième moitié de la saison 3 – produite dans des conditions ahurissantes. C'est à dire entièrement ré-écrite au montage, évacuant l'intrigue fil rouge originale de cette moitié de saison, qui n'est plus qu'un bruit de fond passablement incohérent dans la version diffusée, et se reposant du coup entièrement qui ce qui n'aurait jamais du être qu'une intrigue tertiaire fournissant de nombreuses scènes coupées, le fameux quatuor amoureux. On voit la la limite de la méthode BSG qui consistait à tourner une heure utile pour un épisode de 42mn, avec le risque d'incohérence que cela comporte – sans parler du gaspillage.
Je ne suis pas d'accord avec toi sur un point: Battlestar Galactica était mythologique dès son commencement. A la base, l'idée qu'il y ait douze robots organiques infiltrés dans la flotte, dont on ne connaît qu'une poignée, est un concept mythologique qui n'aurait jamais du être improvisé. Comme cela l'a été, cela a donné les fameux Final Five, soit les bien surnommés Cylons du pif.
Il ne faut pas oublier qu'un arc éminemment mythologique courrait sur toute la saison 1: celui de Helo sur Caprica occupée par les Cylons, objet d'expériences sur l'amour et la procréation, qu'on imaginait liées au fameux «plan». Évidemment, cela s'oublie facilement puisque tout cela n'est qu'une impasse mythologique totale, en rien reliée à un plan de toute façon inexistant – quand bien même il était martelé dans tous les génériques.
Franchement, Battlestar Galactica est le programme le plus insultant pour ses spectateurs qu'il m'ait été donné de voir, d'autant plus que la déliquescence de l'écriture des personnages (et de l'interprétation par des acteurs laissés en roue libre) a été de paire avec l'effondrement de la pseudo mythologie de la série.
Étrangement, je n'ai jamais lu un seul article, billet de blog, ou critique qui pointe un élément essentiel responsable de la dégringolade qualitative de BSG – au-delà de son caractère improvisé, fièrement revendiqué par ce rigolo de Ron Moore.
A savoir un très important changement de format, intervenu vers la fin de la saison 2. Jusque là, un épisode de BSG couvrait une journée ou deux, et l'épisode suivant reprenait la suite du précédent sans ellipse. Cela obligeait les scénaristes à une grande rigueur dans l'écriture de l'intrigue et surtout des personnages et de leurs évolutions. Par facilité et flemmardise, cela a été jeté aux orties pour une structure floue pleines d'ellipses ou plusieurs jours, voire des semaines, peuvent se passer entre deux épisodes.
Malheureusement, tout ce qu'il y avait de subtil et un peu délicat dans cette série a été jeté au passage, laissant à l'écran le foutoir incohérent, à la fois hystérique et chiant, des deux dernières saisons et de l'improbable téléfilm épilogue.
Je me suis toujours demandée si la conclusion de la s4 [de Babylon 5] n'était, dans un genre complètement différent, une meilleure conclusion en raison justement de la construction narrative de la série. La fin de la s5 est une fin émotionnelle ; la fin de la s4 est une conclusion mythologique.
En tout cas, elle n'a jamais été conçue comme une conclusion, puisque ce dernier épisode de la saison 4 fut, en réalité, le premier tourné de la saison 5 – le tout dernier épisode de la série, Sleeping in Light ayant été tourné avec un an d'avance au cas où la série n'aurait pas eu de fin.
A mon avis, c'est heureux, puisque je ne crois pas que le dernier épisode d'une série puisse être autre chose qu'émotionnel. Une série télé, par son inscription dans le temps, par l'attachement qu'elle provoque aux personnages, est une expérience principalement émotionnelle pour la vaste majorité de ses spectateurs (un des problème de la fiction française est d'ailleurs qu'elle se refuse trop à l'émotion: le mélo est jugé vulgaire alors on fait des production très froides qui fidélisent très peu). Je n'aime déjà pas trop The Deconstruction of Falling Stars en épisode de fin de saison, parce qu'il est trop cérébral et vraiment très affecté par les grosses contraintes de budget, je l'aurais vraiment très mal vécu en fin de série.
Livia continue en posant une très bonne question :
Que penser du fait que, dans des séries ayant développé leur mythologie de façon totalement indépendante, sans aucune apparence commune, l'on aboutisse finalement à une résolution assez proche, soulignant la similitude des thématiques traitées par les scénaristes, et de manière quasi-concomitante?
Y répondre m'amène d'abord à traiter une question de Kimon :
Tout cela, après discussion avec des amis sériphiles par ailleurs, mène à la question "qu'est-ce que la mythologie"? Est-ce simplement la gestion d'un fil rouge narratif du début à la fin? Ou est-ce la création d'un univers et sa découverte à travers des mystères?
La première définition ferait de "The Wire" ou "The Shield" des séries mythologiques. La 2e préclut des séries de genre (SF, mystère) d'être mythologiques, et renvoie directement à la série qui en est à l'origine, XF. Est-ce que Star Trek (univers complexe, arcs narratifs courts (à part DS9, soit) mais pas de grand mystère évolutif) est de la mythologie?
A mes yeux, mais cela se débat, le terme de série à mythologie renferme une grande partie de la réponse. Il renvoi principalement, dans les séries anglo-saxonnes évoquées ici, aux mythologies Grecques et Romaines, teintées d'apports christianiques vu la prégnance de ce substrat culturel aux États-Unis. Soit des histoires sur les origines de l'Humanité, sur ce qui fait sa nature, ses affrontements avec ses Dieux créateurs, les affrontements des Dieux entre eux... En cela, la série mythologique va, à mon sens, au-delà du mystère, mais englobe aussi des thèmes qu'on retrouve dans tous les exemples du genre: les conflits de génération, la notion de destin, la capacité de l'individu à changer le monde...
En conséquence, pour moi, une série à mythologie est forcément une série de genre. Il est probablement possible de faire une série mythologique avec un apport du fantastique qui serait minime, mais je crois difficile de faire sans. Jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire.
Star Trek, je l'évoquais dans mon premier message, ça fait partie des inspirateurs de la série à mythologie. Pour moi, on est dans la construction progressive d'une quasi-mythologie. Notamment parce qu'au-delà des aspects de grande fresque montrant différentes cultures évoluer sur une période de temps très longue, si on prend en compte la continuité depuis The Original Series, il y a des éléments thématiques qui arrivent dès Next Generation qui sont annonciateurs de mythologie – je pense notamment à Q.
Deep Space Nine est l'étape finale dans laquelle Star Trek, après avoir influencé la création de mythologies véritables, réintègre et récupère cette influence et devient elle-même une série à mythologie.
Pour moi, du coup, The Shield et The Wire ne sont pas des séries à mythologie, mais des feuilletons (sachant qu'il s'agit là de classification sans la moindre considération hiérarchique d'un genre par rapport à l'autre). L'un des éléments de différence, c'est que ce type de série ne souffre à mon sens aucunement d'être improvisée. Ça ne veut pas dire que ça doit être écrit n'importe comment, naturellement. Mais on peut suivre tranquillement l'évolution des personnages et des situations sans avoir de visibilité à X saisons et livrer malgré tout des œuvres parfaites ou quasi-parfaites.
Le fait que les séries mythologiques américaines dérivent toutes de ce corpus commun – mythologie gréco-romaine et christianisme – expliquent leurs similarités parfois étonnantes. Dans une étude de la construction des séries mythologiques, effectuée il y a quelques années pour une mémorable conférence champêtre dans le cadre de feu le festival de séries de Macon, étude que j'avais basé sur les exemples comparés de X-Files, Babylon 5 et Star Trek Deep Space Nine, j'avais pointé le fait que chacun des trois héros, à l'approche ou au moment de la résolution, passaient par des expériences de mort / mort approchée / mort symbolique, qui marquaient un tournant. En effet, c'était aussi le moment où tant Sheridan, Mulder que Sisko devenaient le sujet de la mythologie après en avoir été longtemps les témoins/observateurs et devenaient eux-mêmes plus qu'humains, des sortes de demi-dieux symboliques.
On retrouve des tas d'autres similarités de cet ordre, et la moindre n'est pas la propension à jouer avec l'imagerie de la Cène à l'occasion de la dernière saison*. (Ce qui illustre d'ailleurs une progression qui est d'autant plus énervante qu'elle est donc systématique: on commence par des inspirations mythologiques gréco-romaines pour finir sur le mythe chrétien et les symboliques messianiques.)
C'est aussi devant le constat de ces répétitions que je me fais l'avocat d'une approche européenne de la série à mythologie. Il me semble justement qu'elle serait à même d'en élargir les sources d'inspiration, et donc d'en renouveler l'approche et l'intérêt, tout en la dé-christianisant. Tout cela en plus de tirer plus efficacement que les américains ne sont aujourd'hui en mesure de le faire, les leçons des expériences de ces vingt dernières années.
* L'image de X-Files est celle où la représentation est la moins littérale, mais c'est aussi parce qu'il s'agit d'une véritable image d'épisode - 7x22 Requiem - et pas simplement d'une photo promo (et ce n'est pas vraiment la dernière saison de la série, mais à ce moment personne n'en savait rien).