Passer La Nuit
Pièce de théâtre pour trois comédiens (2006).
Les bases du projet
Tout a commencé au sein de l'association Moove! pendant l'année 2004/2005. J'en étais Président à l'époque, et nous avons parlé d'y monter un atelier de théâtre. Mais le projet ne s'était pas concrétisé.
Aux derniers jours d’août 2005, alors que je m’appétais à partir pour un week-end à Paris, Olivier me prêta un roman dont il pensait qu'il pourrait faire l'objet d'une bonne adaptation en pièce : Passer la nuit, d'Olivier Lebleu (Editions H&O). Le week-end passé et le roman lu, je rejoins totalement son avis. Je lance immédiatement l'écriture.
L'Ecriture
Celle-ci s'étalera de septembre à fin novembre 2005, même si quelques retouches du texte interviendront encore par la suite. Je reste très fidèle au roman, qui est un huis-clos réunissant deux personnages dans un petit apparemment la nuit de Noël. Ma tâche consiste à travailler un peu sur la structure de la pièce, et à faire des choix vis à vis du matériel du roman nous ramenant vers le passé. Je modifie aussi quelque peu la fin, pour la rendre plus efficace dans le cadre d'une adaptation théâtrale.
La pièce
Après quelques rebondissements et un faux départ, la distribution est bouclée en avril 2006. Tristan et Indra joueront les deux rôles principaux. Je jouerai un tout petit rôle qui apparaît dans quelques interludes en flash-back que j'ai gardés entre les actes de la pièce (j'ai réalisé assez longtemps après l'écriture que ces interludes étaient la preuve que j'avais fait un travail plus personnel que je ne l'avais cru en adaptant le matériel de départ).
Au moment de la mise en route des répétitions, nous avons deux mois avant les représentations prévues les 12 & 13 juin. La première se fait au théâtre de la Compagnie Viens Voir, une petite salle intimiste d'une vingtaine de places dans le 1er arrondissement de Lyon. Le lendemain, nous jouons en extérieur dans la cour de la MJC de Villeurbanne -- où nous subiront les assauts du vent.
Même si j'avais déjà un petit peu touché à la mise en scène avec la troupe Médiévale Kalon Kleze en Bretagne, Passer la Nuit se situe dans une autre catégorie. J'ai abordé la mise en scène avec des sentiments ambigus, partagé entre une certaine envie et un doute certain quant à l'idée que je sois "fait pour ça".
Au final, j'y ai pris pas mal de plaisir, même si la période dans l'ensemble ne fut pas très fun, voire plutôt tendue.
Affiche et visuels
Extrait
L'extrait disponible correspond au premier interlude, inséré entre les actes 1 et 2, et qui aborde certains des éléments du passés qui sont racontés ou auxquels il est fait allusion dans le roman.
PREMIER INTERLUDE
Le rideau est fermé. Les personnages apparaissent en avant-scène, simplement éclairés d’une poursuite. On retrouve Suzanne, des années plus tôt. On frappe à la porte. C’est Pierre, deux gros sacs dans les mains, qu’il laisse tomber à ses cotés.
PIERRE : (D’un trait) Je sais que tu ne veux plus de moi, mais... Tu étais comme ma mère, tu n’avais pas le droit de me jeter comme ça. Je ne retournerai pas là-bas, je veux faire ma vie à Paris, je ne connais personne, j’ai pas un sou en poche, mais je vais trouver du travail, tu dois m’héberger !
Il reprend son souffle puis fond en larmes en baissant la tête n’osant que des coups d’œils , vers Suzanne. Un moment de tension s’installe pendant lequel elle le dévisage, indéchiffrable.
SUZANNE : (sèche) Entre.
Il fait quelques pas, mal à l’aise. Se retourne vers Suzanne, cherchant un signe de soutien qu’elle ne lui donne pas.
PIERRE : Merci.
SUZANNE : Tu ne vas quand même pas me laisser porter tes valises ? J’ai passé l’âge de jouer les bêtes de somme.
Penaud, Pierre retourne vers la porte, attrape ses deux sacs et les traîne à l’intérieur.
SUZANNE : Tu aurais pu téléphoner.
PIERRE : J’avais peur...
SUZANNE : (le coupant) ...De moi ? Laisses-moi rire !
PIERRE : Que tu refuses ! De me parler... de me laisser revenir !
SUZANNE : Tu me prends pour qui, au juste ?
PIERRE : Tous mes premiers souvenirs, je les ai vécu ici, avec toi. Et du jour au lendemain, tu avais disparu. J’étais renvoyé chez ma mère. Au mieux, j’avais droit à un coup de fil, à une lettre. C’était pas assez.
SUZANNE : Tu crois j’ai eu le choix ? A la mort de ton grand-père, Carole a débarqué ici. Elle t’avait confié à moi parce qu’elle ne se sentait pas capable d’élever un enfant. Et soudain, il y a sept ans, elle décidait qu’une vieille veuve ne pouvait plus s’occuper d’un garçon qui allait bientôt devenir adolescent.
PIERRE : Et pourquoi tu l’as laissé faire ? Pourquoi tu n’as rien dit ?
SUZANNE : Je suis allé au commissariat, à l’assistante sociale. J’ai vu des avocats. Ils m’ont tous dit que face à ma fille, face à ta « mère biologique », je n’avais aucun droit sur toi. J’en avais même encore moins que l’affreux avec qui elle vit.
PIERRE : Et pourquoi tu n’es pas venue là-bas ? Pourquoi tu n’es jamais venu me voir ?
SUZANNE : Je suis descendu te voir, c’est un policier m’a ouvert la porte. Quand j’appelais, Carole me disait que tu n’étais pas là une fois sur deux. Et de toute façon, au fil des mois, j’ai senti peu à peu que mes coups de téléphone te dérangeaient. Un jour, Carole m’a dit que mes cadeaux ne te plaisaient pas, et...
PIERRE : J’étais fâché, fâché que tu m’aies abandonné !
SUZANNE : (Elle crie) Tu n’as pas le droit de dire ce mot là !
PIERRE : C’est ce que j’ai vécu !
SUZANNE : Ce n’est pas la vérité ! Je suis tellement contente que tu sois là ! Tellement contente que tu me sois revenu. Tu es si beau ! Tu as tellement grandi !
PIERRE : Je suis un grand garçon, maintenant, Suzon. Majeur, bachelier...
SUZANNE : Félicitations, mon Pilou !
PIERRE : Pierre, je suis Pierre maintenant.
SUZANNE : (Hochant la tête) Pierre...
Elle le sert dans se bras.
SUZANNE : Et, qu’est-ce que tu viens faire à Paris, alors ?
PIERRE : Je veux dessiner !
SUZANNE : Dessiner ?
Il hoche la tête.
* * *
Pierre marche, perdu dans ses pensées. Etienne le remarque, et s’arrête, le laissant venir vers lui.
ETIENNE : Pierre ?
Pierre relève la tête. Son visage s’illumine.
PIERRE : Ca alors, c’est incroyable !
ETIENNE : Moi aussi, je suis content de te revoir.
PIERRE : C’est incroyable, je passe jamais par ici ! Après ce concert, la semaine dernière, j’étais persuadé de ne jamais te revoir.
ETIENNE : Je t’avais dit « à bientôt » !
PIERRE : Je... Tu... Etienne, c’est ça ?
ETIENNE : C’est ça.
PIERRE : Etienne, je... Cette fois-ci, je ne te laisse pas partir sans t’avoir extorqué ton numéro de téléphone !
ETIENNE : Il t’a plu, ce concert ?
PIERRE : Oui... J’ai pas trop vu, en fait.
ETIENNE : C’est ça d’avoir constamment la tête tournée !
PIERRE : Tu veux bien que je te donne mon numéro ?
ETIENNE : (Souriant) Oui, je veux bien. Mais je te préviens, je te rappellerai pas avant un mois.
PIERRE : Un mois ?
ETIENNE : Je passe mes examens dans un mois. D’ici là, je n’aurais pas de temps ni de concentration à accorder à autre chose.
PIERRE : (Déçu) Okay. Okay.
ETIENNE : Je te promets. Dans un mois, je te rappellerai.
Pierre glisse une carte dans la poche d’Etienne et l’embrasse avant de s’éloigner.
PIERRE : A dans un mois, alors.
* * *
Pierre, jovial, entre chez Suzanne. Ils s’embrassent.
PIERRE : Bonjour Suzon.
SUZANNE : Bonjour mon Pil... Pierre. Ca va ?
PIERRE : Bien. Très bien même.
SUZANNE : C’est l’impression que tu donne... Et puis ça fait longtemps que je t’ai pas vu venir chez moi, l’œil triste, pour prendre un bol de soupe et oublier l’une de celles qui s’étaient évanouie aussi vite qu’elle était arrivée dans ta vie. Tu n’a pas rencontré de demoiselles ces derniers temps ?
PIERRE : Heu, si. Enfin... justement, j’ai rencontré quelqu’un. J’veux dire... Vraiment. Enfin, c’est différent. C’est pas comme... C’était... A un concert, il y a trois mois. Enfin, c’est là que je l’ai vu la première fois. Mais on ne s’est pas vraiment parlé, juste échangé nos prénoms en causant deux minutes en sortant de la salle. Et puis on s’est croisés par hasard dix jours plus tard, une coïncidence. Mais c’était la période des examens, alors on est restés un mois sans se voir et puis ensuite je l’ai invité au théâtre et... Ca fait deux mois maintenant.
SUZANNE : Ca a l’air différent oui.
PIERRE : Ca l’est.
SUZANNE : Et qu’est-ce qu’elle fait dans la vie ?
PIERRE : Elle... Elle... Elle s’appelle Etienne, Suzon. (Silence.) Tu dis rien ?
SUZANNE : Qu’est-ce que tu veux que je te dises ? Je vais pas jouer la surprise.
PIERRE : Tu... tu savais ?
SUZANNE : Pierre, ça fait cinq ans que je vois tes dessins. Et que malgré tous tes commentaires et tes clins d’œil devant moi dans la rue, je t’ai jamais vu ramener une fille à la maison. Mais des garçons, des « amis », ça, j’en ai vu défiler. Je l’ai vu, lui ?
Pierre fait non de la tête.
PIERRE : Il vient de finir ses études. Il veut devenir écrivain. Il est un peu plus jeune que moi. Il va venir habiter chez moi... Je suis amoureux, Suzon.
Noir.