Le site de Sullivan Le Postec, scénariste et réalisateur, créateur de la série Les Engagés.

19 Jul

Le non-sens de la vie (The Leftovers)

Publié par Sullivan Le Postec  - Catégories :  #Séries, #Critiques, #Damon Lindelof, #The Leftovers

The Leftovers. C’est le retour de Damon Lindelof (co-créateur, co-showrunner et âme de la série Lost) à la télévision. C’est la série événement de l’été 2014. C’est une œuvre qui, après trois épisodes diffusés, divise déjà fortement et va continuer de le faire. C’est, en promesse, un chef d’œuvre qui n’a pas de mauvaises chances de tenir la distance.

Mise à jour:

La saison terminée, j'ai publié un bilan sur le site Daily Mars:
The Leftovers (saison 1) – Plus rien n’a de sens, plus rien ne va​

Le non-sens de la vie (The Leftovers)

Du passé...

Lost s’est beaucoup construite au fur et à mesure. Ceux qui l’écrivaient et la produisaient apprenaient petit à petit leur boulot (Lindelof a expliqué comment Jack, leader malgré lui désigné à cette position par les autres dans la saison 1, était un reflet de lui-même placé à la tête de la production). Ils découvraient aussi au fil du temps ce qu’était profondément leur série (ce n’est qu’après le tournage du Pilote qu’est arrivée l’idée des flashes-back vers le passé des personnages et avec elle le thème central : qui prétendrions-nous être si nous avions la possibilité de nous réinventer ?). Tout cela a participé des qualités de Lost, les auteurs se permettant régulièrement d’incroyables audaces parce qu’ils ne les avaient pas nécessairement perçues comme telles. Cela a été son principal défaut, les rattrapages hasardeux aux branches se multipliant plus on avance dans la série.

C’est ainsi que, vers la fin, est apparue la phrase : « ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage », accompagnée de l’encore plus terre à terre : « c’est une série sur les personnages ». Terre à terre, mais fausse. Ces affirmations étaient un de ces rattrapages aux branches et un excellent plan de communication. Lost a été story-driven des années avant d’effectuer en fin de course un basculement vers le character-driven parce que… Eh bien parce que l’histoire n’avait plus aucun sens et que les scénaristes n’avaient pas d’autre choix ! Néanmoins, je crois qu’il y avait une large part de vérité là-dedans, que cette affirmation n’était pas juste cynique. C’était ce que Carlton Cuse et Lindelof auraient voulu que Lost soit totalement. C’était ce qu’ils constataient qu’elle avait été dans ses meilleurs moments.

C’est ce que Damon Lindelof a décidé de faire de The Leftovers dès son commencement.

Dans The Leftovers, il y a un mystère originel. Mais les choses sont claires : il ne sera jamais expliqué comment les 2% ont disparus. Il ne sera jamais révélé ce qu’ils sont devenus. Le sujet de la série, c’est l’impossibilité absolue de comprendre, et ses conséquences. Comment vivre dans un monde qui n’a pas de sens, et dont tout laisse à penser qu’il n’en aura plus jamais ?

...naît le présent

Il y a quelque chose dans The Leftovers qui m’a surpris, et que j’ai eu des difficultés à tenter d’expliquer. C’est la série la plus pleine de spleen, la plus fondamentalement désespérée que je n’ai jamais vue. Même la première saison de MillenniuM avait le havre de la maison jaune. Dans The Leftovers, il n’est même plus question de no future : c’est simplement no present.
Et pourtant, elle ne me laisse pas déprimé à l’issue de ses épisodes. Et pourtant, cette ambiance plombée ne me coupe pas l’envie de voir l’épisode suivant aussi vite que possible.

Au fond je crois que c’est parce que la communication ne se fait pas dans ce sens-là. The Leftovers ne transmet pas son désespoir vers le spectateur parce qu’elle a plutôt tendance à l’absorber, à être l’exutoire du sentiment de frustration qu’il est facile de ressentir. Parce que le monde dans lequel nous vivons, il a encore un sens pour vous ? Vous avez l’impression d’avoir prise sur lui ?

Ce qui rend cet effet exutoire possible, c’est l’absolue finesse du propos. La qualité parfaite du miroir qu’elle nous tend. La précision des métaphores que ses touches de fantastique lui permettent de tisser.
Oui, nos sociétés sont tellement divisées en groupes idéologiques radicalisés que plus personne n’est capable de communiquer avec personne. Nous sommes devenus collectivement incapables d’affronter la moindre catastrophe – alors imaginez le contrechoc de la disparition soudaine et inexpliquée de 2% de la population. Oui, accepter le non-sens du monde est peut-être la seule façon d’échapper au désespoir, même si cela fait de nous un agent supplémentaire de l’arbitraire et du chaos. Dans ce monde, qu’est-ce qui sépare le fou du saint d’esprit ? Y at-t-il encore la moindre différence entre l’un et l’autre ?

The Leftovers n’est pas exempte de défauts, particulièrement présents dans son deuxième épisode. On sent trop que l’intrigue autour du gourou incarné par Paterson Joseph est née d’une inquiétude : ‘‘il ne faudrait pas qu’il se passe des trucs, quand même ?’’. En réalité, The Leftovers n’est jamais aussi passionnante que quand il ne se passe à peu près rien que l’horreur du quotidien. Mais l’hallucinant troisième épisode revient au ton du Pilote, et l’amplifie encore. Radicale, The Leftovers touche au sublime.

Vivement l'épisode 4.

The Leftovers

Créé par Damon Lindelof et Tom Perrotta, d’après le roman de Tom Perrotta.
Showrunné par Damon Lindelof.
Avec Justin Theroux, Amy Brenneman, Christopher Eccleston, Liv Tyler, Emily Meade, Ann Dowd et Michael Gaston.

http://www.hbo.com/#/the-leftovers/index.html

Le non-sens de la vie (The Leftovers)
Commenter cet article

Archives

À propos

Le site de Sullivan Le Postec, scénariste et réalisateur, créateur de la série Les Engagés.