Blockbusters no more (Man of Steel, de Zack Snyder)
Vous vous souvenez ? Vous vous souvenez des premières images de Man of Steel, le reboot de la franchise cinématographique Superman ? Ce souffle épique, cette émotion... Une chose est sûre concernant Zack Snyder: il ne sait pas faire de bons films, mais au moins il maîtrise à fond l'art de la bande-annonce.
La bande-annonce, de loin ce que Man of Steel a de mieux à offrir. Zod n'est presque pas dedans. Coïncidence? Je ne crois pas.
Man of Steel est un échec. Cela pourrait être un film de pure science-fiction passable (l’introduction sur Krypton, racontée en avance rapide, est à la limite du nanar), quoi que particulièrement bourrin. Il est logique que, dans un format long comme un comic ou une série télé, l’origine SF de Superman soit exploitée, mais ce n’est guère l’ancrage premier de Superman, et c’est un choix douteux pour une adaptation sur un format qui se limitera à trois histoires au maximum, cinq ou six en cas de triomphe et/ou de recast.
Par ailleurs, et encore plus embêtant, ce film est dénué de la moindre émotion et du moindre sentiment d'empathie envers quelque personnage que ce soit (à part un petit peu Lois Lane, à la limite). L’histoire d’amour entre Superman et Lois est risible, tant elle n’apparaît que pour respecter le cahier des charges. Avant leur premier baiser ils ont passé quoi, quinze minutes ensemble ? Et ils ont échangé vingt phrases. C’est effarant comme toutes les séquences du voyage initiatique de Clark Kent tombent à plat, les unes après les autres, incapables de susciter le moindre battement de cœur.
Mais à quoi bon adapter une œuvre si c'est pour en trahir non pas la lettre mais, pire, l'essence ? Le personnage de Superman est un pilier de la culture populaire, et il a connu de nombreuses variations au fil d'une longue histoire. Mais ces différentes continuités ont fini par tracer les contours d’un véritable personnage. Un héros qui ne cessera jamais de privilégier l'intérêt général, celui de l'humanité, des autres, au sien. Celui qu'on voit dans Man of Steel n'est pas Superman. Il a une histoire proche – mais de multiples super-héros sont des décalques de Superman – en revanche il n'a ni son éthique ni sa personnalité.
Et s’il y a un personnage qui ne se prête pas à une approche consistant à faire un film de super-héros en s’excusant de faire un film de super-héros, c’est bien Superman. On a le droit de le trouver niais, mais dans ce cas, on le laisse tranquille, on ne lui applique pas une sorte de ripolinage pseudo-réaliste / cynique qui lui va beaucoup plus mal qu’un slip porté au-dessus du pantalon.
Plus largement, je crois que Man of Steel a achevé de me convaincre qu’il n’y avait plus rien à attendre du Hollywood actuel. Le système est trop corrompu, trop vicié. Cela fait des années, maintenant, que l’on espère le prochain blockbuster de studio qui renversera la tendance, saura se montrer à la fois intelligent et jouissif. Le blockbuster a été inventé par une génération, emmenée par les Steven Spielberg, James Cameron, Ridley Scott, ou même Georges Lucas, qui mettaient la création au cœur de leur travail, qui avaient réussi à retourner le système à leur avantage, pour qu’il serve l’art autant que le commerce.
Mais ce qui était autrefois la règle est devenu une exception qui se réduit comme peau de chagrin. Toutes les embellies sont venues du dehors du système. De territoires indépendants, comme District 9 ou Chronicle. La génération de grands cinéastes a laissé place à quelques créatifs isolés perdus au milieu de faiseurs qui ne satisfont les studios que par leur acceptation du système. Qui aime encore ces films de plus en plus standardisés jusqu’à être désincarnés ? Comment peut-on accepter un tel manque de diversité des sujets et des films ? Les financiers aujourd’hui à la tête de l’industrie du cinéma US font l’erreur de cupidité que commettent toujours les gens d’argent quand ils prennent le contrôle d’industries créatives. Ils ne financent plus que ce qui marche au détriment de toutes les niches d’innovation et de renouvellement. Il n’y a pas de difficultés à imaginer comment tout cela va se finir.
Il s’est passé la même chose à la télévision française. Navarro marchait. Il n’y a plus eu que Navarro et des copies de Navarro. Le format a lassé après quinze ans et il a suffit de deux années pour que le système s'effondre et pour que la série française entre dans une crise profonde dont elle ne s’est pas sortie, près de dix ans après.
Si un nouvel Hollywood devait naître ce sera à la faveur d’un grand changement dont il sera impossible de ne pas entendre parler. En attendant, impossible de s’exciter devant la bande-annonce, même très réussie, d’un prochain film de studio. Je saurais trop la déception qui ne manquera pas de s’en suivre... Blockbusters no more.